Demain dès minuit

Mymytchell

Moi qui suis née le deuxième jour de la semaine sanglante,

des années plus tard,

demain j’en aurai trente.

Trente ans, serait la cime,

vue de l’un et l’autre du versant

Pourtant me dit-on que ma jeunesse ne me permet pas

de tout comprendre,

que si le travail blesse

c’est qu’il faut mieux l’apprendre

Avez-vous repéré que l’âge de la raison recule ?

Au point de nous laisser peut-être

entre l’âge des envies et l’âge des regrets

juste quelques secondes ?

Pour une communarde, trente ans

c’était inatteignable.

Demain j’aurai trente ans, n’a pas dit Mabanckou

Il a dit vingt, car l’âge prend aussi du recul suivant la densité

d’un coup d’histoire

Demain je serai mort,

n’a pas dit Hugo,

mais dont les obsèques ouvrières rappelleront tous ses mots

Je ne fêterai pas cet anniversaire,

c’est pas grave les ami-e-s

si ce n’est avec vous dans la distanciation sociale

nom qu’on pourrait revoir

Je ne fêterai pas ça, je fêterai autre chose

Je fêterai le vivant en chaque chose

C’est toujours aussi l’anniversaire d’un accouchement,

on l’oublie celui-là

Je fêterai la conquête des âges,

celle qui nous a fait dire que travailler

n’était pas toute notre vie

Je laisserai à mes 29 ans, les terreurs nocturnes

les bêtes humaines et les disjonctions,

je sauterai avec les combats continus

J’aurai 30 ans demain, oui

mais c’est grâce à l’idée de la joie

à l’idée même d’action.

Il n’y a pas de bel âge, il n’y a que la vie.

Moi qui suis née le deuxième jour de la semaine sanglante,

c’est d’elle que je vais dire un mot.

Je n’aurai plus peur de dire de la poésie

qu’on ne financera jamais,

bande d’assassins.

Car vous fédéré-e-s,

votre poésie a la couleur du sang

Vous êtes beaux pour toujours,

vous êtes belles, bon sang.

Vous n’auriez eu trente ans qu’au prix de vains efforts,

de genoux déboîtés et de monstres dans le sang.

Si vous aviez su que la marchandise allait s’étendre à l’air,

l’eau,

la moindre miette de vie,

Mais vous n’aviez même pas besoin du mot

capitalisme

pour vous affronter à lui.

Fêtons l’anniversaire, oui.

Fêtons l’anniversaire des armes à la main,

et du temps gagné

contre le travail de nuit

Fêtons ce qui ne s’éteindra jamais

car l’électricité n’est pas seule

énergie

Et si c’est de la république qu’il s’agit,

il n’y a pas d’âge pour cette hypocrite.

Car pour survivre,

la république ardente,

il y a 149 ans,

a massacré

ce qu’elle appellerait aujourd’hui,

des adolescent-e-s.

21 mai 2020